[Facil] Cybernétique - accès à l'information - exclusion sociale...

Valerie Dagrain vdagrain at free.fr
Ven 13 Oct 08:46:54 EDT 2006


Cybernétique : allons-nous devenir autre chose qu’humains ?

Sources: 
http://www.futura-sciences.com/news-cybernetique-allons-nous-devenir-autre-chose-qu-humains_9790.php
Internet-Actu - License CC, le 13/10/2006 à 10h37

Enseignante à l’Institut d’Anthropologie de l’université de Lausanne, 
Daniela Cerqui, dont la thèse portait sur l’avenir de l’humain, poursuit 
actuellement des recherches au sein du département de cybernétique de 
l’université de Reading (Grande-Bretagne). En tant qu’anthropologue, 
elle étudie les interactions entre technologies et sociétés, 
l’informatique omniprésente. Elle travaille en particulier sur l’implant 
de puces, en collaborant aux recherches de Kevin Warwick, qui s’implanta 
la première puce dans le corps humain.

   InternetActu.net : Les puces dans les objets, les espaces, on 
commence à s’y faire… Mais il est encore difficile de les imaginer dans 
nos chairs. Vous qui travaillez avec un homme qui s’est implanté des 
puces dans le corps, pouvez-vous nous expliquer ce que ça change, pour 
lui, pour vous, dans son environnement immédiat ?

   Daniela Cerqui : Quand on parle des nouvelles technologies et leur 
relation avec l’humanité, on en parle toujours en terme d’impact, or ce 
n’est qu’une partie du problème que les technologies mettent en relief. 
L’autre partie pose la question de savoir quelles valeur s s’expriment 
dans la technologie ? Quand on regarde le problème sous l’angle de 
l’impact, on reste dans les conséquences : la technologie est une donnée 
intangible. Or, la technologie ne nous est pas arrivée dessus par hasard 
! C’est nous qui y injectons des valeurs. Si on veut comprendre les 
changements en cours, il faut prendre en compte les valeurs que notre 
société place dans la technologie.

  Kevin Warwick a désormais retiré la puce qu’il s’était fait implanter 
dans le corps. Quand elle l’était, l’élément saillant de son expérience 
était l’accès à l’information en continue : le contact permanent avec 
son environnement. Il a réalisé de manière concrète ce que nous faisons 
tous de manière métaphorique quand on se connecte à l’internet. Son 
expérience à pris cette métaphore à la lettre. L’une de ses expériences 
les plus marquantes a consisté à manipuler une main robotique par la 
pensée. D’abord, une main robotique qui était à côté de lui. Puis une 
main robotique qui se trouvait de l’autre côté de l’océan Atlantique. 
L’impulsion nerveuse qui la commandait étant transmise via l’internet.

  L’humain standard n’est pas équipé pour manipuler ses membres à 
distance, ni pour en manipuler 1000.

   InternetActu.net : Face aux déceptions liées à l’intelligence 
artificielle, il semble qu’on soit un peu passé de l’idée de pouvoir 
reproduire l’intelligence humaine dans une machine à celle de 
transformer notre corps et notre environnement en machines. Après avoir 
travaillé plusieurs années auprès des chercheurs et visionnaires les 
plus engagés dans le sens du "post-humain", quel est votre sentiment sur 
le potentiel et les risques de ce mouvement ? S’agit-il d’un courant de 
pensée et de recherche marginaux, ou bien au contraire, d’un mouvement 
de fond ?

   Daniela Cerqui : Ces chercheurs sont en effet souvent présentés comme 
des marginaux, alors qu’ils ont au contraire, une longueur d’avance sur 
nous. Nous sommes dans une société où l’on valorise l’accès le plus 
rapide possible à l’information. Nous véhiculons tous ces valeurs, par 
l’usage quotidien de nos téléphones mobiles, de l’internet, etc.

  L’implant, n’est que le dernier pas de cet accès toujours plus 
immédiat, où l’organisme fusionne avec l’objet. Certains appellent cela 
la post-humanité ou la sur-humanité… Cela peut faire sourire, or ces 
chercheurs formulent tout haut ce que nous faisons déjà tous aujourd’hui 
avec les technologies de l’information et de la communication.

  Bien évidemment, les potentiels sautent aux yeux, notamment les 
thérapies permettant demain d’aider les personnes handicapés. 
L’actualité récente, dans le cas de Claudia Mitchell, cette ex-marine 
américaine qui a retrouvé l’usage de son bras amputé grâce à une 
prothèse commandée par la pensée, nous en a offert un très bon exemple. 
Mais j’ai plutôt tendance à voir les risques, par déformation 
professionnelle. Et le risque principal n’est rien moins que la 
disparition de l’humain.

  On utilise souvent un argument évolutionniste pour justifier 
l’apparition du post-humain : l’idée étant que c’est pour s’adapter à la 
complexité de son monde que l’homme est appelé à s’adapter. Mais 
contrairement au schéma évolutionniste classique, nous ne sommes pas là 
face à une espèce qui s’éteint, dont l’avenir est sans horizon. Nous 
décidons peut-être de devenir autre chose qu’humains, de construire un 
avenir qui n’est plus humain.

  Pour autant, la distinction entre potentiel et risque est hasardeuse. 
Car même sous l’angle de la thérapie, le risque de construire d’autres 
handicaps existent. On le voit bien dans les nouvelles technologies de 
l’information et de la communication dont on sait combien elles sont 
facteurs d’exclusion et de discrimination. Dans l’administration 
notamment, une grande partie des services auxquels ont accède de plus en 
plus souvent en ligne, exclut toute une catégorie de la population et 
créé un nouvel analphabétisme. Le lien entre le contenu de la puce et 
votre cerveau, est-il intrinsèquement porteur de sens ou pas ? Sans 
compter que le paradigme de l’accès, fait obstacle à l’idée qu’il y a 
des choses à apprendre avant d’accéder, que ce soit avec votre clavier 
ou avec une puce implantée dans votre corps.

  Prenons un exemple. La DARPA travaille a améliorer la vue du pilote de 
chasse, via des implants de rétine pour que sa vue parvienne à 120 % de 
ses possibilités. Si ces recherches aboutissent, demain, nous serons 
considérés comme handicapés si nous ne profitons pas de ces 
technologies. Je suis un peu myope, ce qui est un problème assez bénin, 
et je mets des lunettes pour ne pas avoir à plisser les yeux quand je 
regarde les gens. Mes étudiants d’ailleurs ne l’accepteraient plus. Ils 
me diraient, si je n’en portais pas, « mais pourquoi ne portez-vous pas 
de lunettes ? ». Tout cela pour dire que la norme a changé : on 
n’accepte plus qu’on ne cherche pas à combler ses handicaps. Un peu 
comme l’usage du téléphone portable : plus on s’habitue à ces 
techniques, moins on accepte qu’on ne les utilise pas.

   InternetActu : Nous ne deviendrons pas cyborgs (si bien sûr nous le 
devenons) du jour au lendemain mais peut-être même par inadvertance, 
après avoir, sans trop y penser, implanté des puces et des machines dans 
les animaux domestiques, les malades d’Alzheimer, les handicapés, les 
enfants qu’on a peur de perdre, les anciens délinquants sexuels, etc. 
Qui décide aujourd’hui des limites à ne pas transgresser ? Faut-il à 
votre avis une prise de conscience et un débat conscient sur ce thème ? 
Est-ce possible ? Si oui, comment l’engager ?

   Daniela Cerqui : Il n’y a pas de limite. Ou plutôt, il y en aurait. 
Il suffirait de les définir. Mais, si certaines recherches peuvent être 
considérés aujourd’hui comme de « l’amélioration », qu’en sera-t-il dans 
5 ou 10 ans ? Reprenons l’exemple de l’amélioration de la vue des 
pilotes de chasse : dans combien de temps l’amélioration de la vue 
deviendra -t-elle une question de santé ?

  Je pense qu’il faut une prise de conscience claire. Il nous faut du 
débat. Dans leurs labos, les scientifiques construisent un avenir très 
éloigné des usagers. Nous participons tous de ce mouvement, ou au moins 
nous l’acceptons. Or, il nous faut confronter nos idées.

  Ce que j’enseigne à des étudiants en science sociale est inutile si je 
ne me mêle pas aux praticiens dont je parle. Cette confrontation est 
stimulante car les gens n’ont pas les mêmes présupposés que moi. Ils 
interrogent mes valeurs, ils me forcent à les décrire… De plus en plus, 
j’écris des articles et participe à des congrès avec Kevin Warwick où 
nos deux points de vue apparaissent afin de proposer à notre auditoire 
deux directions complètement différentes. Ni lui ni moi ne changerons 
notre manière de voir les choses… Au début de notre collaboration, il ne 
cessait de m’expliquer qu’il fallait devenir des cyborgs et je ne 
cessais de lui demander pourquoi, de mon point de vue d’anthropologue 
attaché à l’humain. Petit à petit nous avons appris à argumenter. Ce qui 
nous semble important aujourd’hui, c’est de faire part de la dualité de 
notre réflexion à d’autres, pour donner aux gens matière à mener leur 
propre réflexion à tracer leur propre voie…

  Il faut brasser les idées opposées… L’avenir peut-être radieux, mais 
aussi ne pas l’être.

  Mais les choses évoluent… A l’époque ou j’ai commencé à parler des 
implants, tout cela semblait très théorique. Pour beaucoup de gens, je 
travaillais sur de la science-fiction. Maintenant, on ne me le dit plus.

  Ce qui est sûr, c’est que franchir la barrière du corps, fait 
ressurgir des craintes, des peurs. Pourtant, pour beaucoup, nous sommes 
déjà des cyborgs : que nos machines soient à l’intérieur ou à 
l’extérieur de nos corps ne change pas grand chose, nos lunettes, nos 
téléphones font déjà de nous des humains augmentés. Pour certains, la 
barrière du corps n’a donc pas d’importance. Je ne le crois pas. Disons 
plutôt, que la question de l’identité et de l’intégrité de l’homme reste 
ouverte et que j’y travaille.

   InternetActu.net : On a l’impression qu’avec ces réseaux de puces, 
dans le corps ou non, nos environnements intelligents vont prévenir nos 
désirs d’une manière fluide et naturelle. Mais l’expérience , disons, de 
nos magnétoscopes, devrait nous rendre plus circonspects sur les 
capacités des designers à atteindre un tel objectif. Que se passe-t-il 
en outre quand les processus s’emballent, interagissent, se hackent, se 
mixent, se syndiquent, s’agrègent, se dissolvent… ?

   Daniela Cerqui : C’est à croire qu’on n’apprend pas des erreurs 
passées. On veut lutter contre la complexité en multipliant encore plus 
l’information. Forcément, si l’information est présente partout, le 
phénomène devrait s’emballer. De là à laisser les machines prendre le 
pouvoir…

  Quand il y a quelque chose qui ne va pas avec la technologie, on 
développe une technologie plus compliquée. Plus simple dans l’interface 
utilisateur, mais qui prend en compte toujours plus de paramètres. 
Plutôt que de se préoccuper de solutions sociales à apporter aux 
problèmes sociaux, de solutions politiques aux problèmes politiques, on 
pense que la technologie résout tous les problèmes. Il faudra bien 
s’apercevoir un jour que ce n’est pas toujours vrai.




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