[Facil] La crise du droit d’auteur au Canada
Valerie Dagrain
vdagrain at free.fr
Dim 27 Nov 02:12:37 EST 2005
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La crise du droit d’auteur au Canada
par Michael Geist Université d'Ottawa
Il suffit d’un tour d’horizon rapide pour constater que la culture
canadienne ne s’est jamais mieux portée. D’Avril Lavigne à Yann Martel
en passant par Denys Arcand, les Canadiens remportent un succès mondial
sans précédent tant auprès des critiques que du public en raflant sur
leur passage Grammys, Bookers et Oscars.
Dans la même veine, les réussites canadiennes dans le milieu de
l’éducation et d’Internet sont remarquables, surtout depuis que le
Canada est devenu le premier pays au monde à brancher la totalité de ses
écoles à Internet.
Malgré ces bons coups, la culture et l’éducation canadiennes se
retrouvent au cœur d’une querelle à propos de la réforme du droit
d’auteur. Les politiciens, les lobbyistes et des millions de Canadiens
ont en effet passé une bonne partie de l’automne à débattre sur le
projet de loi C-60, la réforme tant attendue du droit d’auteur numérique
au Canada. Même si une partie du projet de loi rétablit un équilibre
admirable, la grande déception tient à ce que le projet de loi ne
projette pas une vision positive de la réforme du droit d’auteur au
Canada qui élargirait l’accès à la culture canadienne et ouvrirait de
nouvelles portes tant à nos artistes qu’au milieu de l’éducation.
Prenons les réformes proposées en éducation, dont l’objectif évident est
de faciliter l’éducation assistée par la technologie et la diffusion
numérique des collections de bibliothèques. Malheureusement, elles
n’atteignent pas cet objectif puisqu’elles assortissent les nouvelles
dispositions de restrictions très contraignantes, ce qui les rend à peu
près inutiles.
Le projet de loi C-60 vise à promouvoir l’apprentissage par Internet en
permettant aux écoles de diffuser des leçons contenant des objets
protégés par droit d’auteur. Par contre, il restreint ce nouveau droit
en forçant les écoles à détruire le plan de leçon dans les 30 jours
suivant la fin du cours. De surcroît, les écoles devront tenir un
registre, pendant trois ans, des leçons utilisées ainsi que des dates
d’impression et de destruction de ces leçons.
Les dispositions relatives aux bibliothèques sont encore plus pénibles;
elles transforment les bibliothécaires en véritables « serruriers
numériques », curieusement forcés de restreindre l’accès au savoir pour
le diffuser. Le projet de loi permet en effet aux bibliothèques et
services d’archives de procurer à leurs utilisateurs des documents
numériques. Pour ce faire, toutefois, ils doivent limiter encore
davantage la diffusion et la reproduction des documents numériques et
restreindre la durée de l’utilisation à sept jours.
On peut faire mieux. Sous la direction de ses ministres de l’Industrie,
de John Manley à David Emerson, le Canada s’est bâti une infrastructure
Internet de calibre mondial. Après avoir investi des milliards dans
cette infrastructure, le gouvernement fédéral ferait bien de mettre en
place des politiques qui mettront cette nouvelle technologie au service
de la croissance économique, de l’éducation, de l’innovation, de la
recherche et de la diffusion de la culture canadienne.
À court terme, il faudrait modifier les dispositions du projet de loi
C-60 qui visent à favoriser la diffusion du savoir par les réseaux
numériques en éliminant les restrictions imposées aux établissements
d’enseignement et aux bibliothèques. L’ensemble de la population
canadienne aurait ainsi un meilleur accès aux ressources pédagogiques et
à l’éducation permanente.
À long terme, les décideurs du Canada devraient être proactifs en
élaborant un cadre politique qui ferait du Canada un précurseur dans le
domaine d’Internet. Entre autres possibilités, mentionnons la création
d’une bibliothèque nationale électronique, l’adoption de dispositions
d’utilisation équitable (fair use), la promotion du domaine public,
l’abolition du droit d’auteur de la Couronne et le réexamen des
politiques de Radio-Canada.
Bibliothèque nationale électronique Motivée par le projet de Google de
collaborer avec les grandes bibliothèques scientifiques du monde à la
numérisation de millions de livres, l’Union européenne a engagé près de
150 millions de dollars canadiens pour numériser tous les livres des 20
principales bibliothèques européennes. Le Canada devrait se fixer un
objectif encore plus ambitieux, mais tout de même réaliste : la
numérisation de tous les livres, de toutes les décisions judiciaires et
de tous les documents gouvernementaux jamais publiés au Canada. Le
public bénéficierait ainsi du libre accès aux œuvres du domaine
public, tout en ayant un accès limité à d’autres œuvres, sans avoir
besoin de demander la permission au préalable. Les droits d’auteur
seraient toujours protégés, et les auteurs verraient qu’une diffusion
élargie se traduit souvent par une hausse des ventes.
Vers une utilisation équitable Le Canada serait en outre bien avisé
d’adopter une définition moins contraignante d’« utilisation équitable »
(fair dealing), qui limite en ce moment l’utilisation de certaines
catégories (recherche, étude personnelle, etc.), et d’adopter un modèle
plus souple et moins restrictif, comme celui des États-Unis (fair use).
Même si la Cour suprême du Canada insiste sur l’importance d’une
interprétation large et libérale d’« utilisation équitable », la
catégorisation assez stricte des exceptions demeure problématique. La
loi sur le droit d’auteur américaine ne prévoit pas de telles
restrictions, ce qui favorise l’utilisation innovatrice et équitable
des œuvres.
Le Canada a reconnu les avantages d’un modèle élargi d’utilisation
équitable dans un document d’orientation fondamental dans les années
1980, mais il n’a pas adopté de lois pour assurer l’application de la
recommandation. Le Canada pourrait ainsi prendre du recul à nouveau
puisque d’autres pays, comme l’Australie, songent à modifier leurs
dispositions relatives au concept d’utilisation équitable.
Domaine public
Veer (Janusz Kapusta)
Ottawa pourrait aussi encourager activement le domaine public en
reconnaissant que les auteurs canadiens ont l’habitude de bâtir sur ce
qui se fait déjà, ce que Margaret Atwood a déjà qualifié de «
réclamation littéraire ». Un domaine public solide procurerait non
seulement aux créateurs du matériel de base pour des œuvres ultérieures,
mais il pourrait aussi encourager le milieu de l’édition canadien.
Il suffit de penser à l’exemple du concours Canada Reads de CBC, dont le
gagnant de 2005 est Rockbound, un roman publié en 1928 par son auteur
Frank Parker Day, décédé en 1950. Rockbound appartient désormais au
domaine public, mais, en publiant et en vendant ce succès-surprise, les
presses de l’Université de Toronto pourront tout de même en tirer des
recettes intéressantes qui serviront à encourager d’autres auteurs.
Droit d’auteur de la Couronne Le gouvernement devrait aussi éliminer
rapidement le droit d’auteur de la Couronne, selon lequel le
gouvernement conserve le droit d’auteur de toute œuvre rédigée ou
publiée par un fonctionnaire ou sous sa direction. Le droit
d’auteur de la Couronne, qui date du XVIe siècle, traduit une vision
ancestrale selon laquelle le gouvernement doit restreindre l’utilisation
des documents publics par la population. À l’heure actuelle, la Couronne
conserve son droit d’auteur cinquante ans après la création d’une œuvre.
Ainsi, toute personne qui souhaite utiliser ou republier un rapport
ministériel, une audience parlementaire ou tout autre document
gouvernemental doit demander la permission au préalable. La permission
est souvent accordée, mais elle ne l’est pas toujours.
Ce n’est pas la première fois que l’on demande une réforme du droit
d’auteur de la Couronne au Canada, mais il est plus urgent que jamais
d’éliminer les concepts périmés de contrôle gouvernemental sur les
œuvres achetées et payées par la population canadienne. Prenons
l’exemple d’un réalisateur canadien qui tournerait un film sur un enjeu
controversé comme le mariage entre personnes de même sexe ou le contrôle
des armes à feu. Le réalisateur pourrait vouloir ajouter à son film des
clips de politiciens abordant la question à la Chambre des communes. Une
fois les bandes en mains, le réalisateur serait soumis à une panoplie de
conditions limitant l’utilisation des vidéos à l’étude personnelle, à la
recherche, à la critique ou à l’étude en milieu scolaire, ou à des
reportages diffusés par des stations de radio ou de télévision
autorisées par le CRTC. Toute autre utilisation, y compris l’usage
commercial des vidéos, nécessiterait une approbation écrite préalable du
président de la Chambre.
Permettre l’utilisation des œuvres radio-canadiennes Louangée par ses
partisans et décriée par ses détracteurs, Radio-Canada est sans doute
l’institution canadienne qui fait le moins l’unanimité. À l’ère
d’Internet, le diffuseur public aurait néanmoins l’occasion de se donner
une pertinence unique en accordant à la population canadienne le droit
d’utiliser son contenu à des fins de création. À cet égard, la BBC est
un excellent modèle du genre. Dernièrement, elle a créé la BBC Creative
Archive, où les internautes pourront télécharger des clips d’émissions à
des fins non commerciales. Le site permettra en outre l’entreposage, la
modification et le partage des fichiers. Le service, qui englobe aussi
le Chanel 4 (British Film Institute) et l’Open University, offrira 100
heures d’enregistrement pour commencer, mais prévoit mettre en ligne
toutes les archives de la BBC.
Même si le mode de financement de Radio-Canada n’est pas identique à
celui de la BBC (droits d’utilisation), des ressemblances évidentes
unissent les deux diffuseurs publics. Radio-Canada tient d’excellentes
archives en ligne, dont le contenu est toutefois restreint par des
dispositions contraignantes de protection du droit d’auteur. Ce serait
déjà toute une amélioration si le diffuseur redonnait accès à sa
programmation à la population canadienne, qui en finance la majeure
partie par ses impôts.
Pour éviter la crise imminente des droits d’auteur Si les questions de
droit d’auteur ne concernaient au départ qu’un petit groupe de
spécialistes, elles sont désormais très personnelles. La réglementation
du droit d’auteur affecte comme jamais le travail, la créativité et les
activités de millions de personnes. Après une réforme du droit d’auteur
étalée sur des dizaines d’années, et à l’avantage de quelques personnes
au détriment d’un grand nombre, le temps est venu de faciliter
l’accès plutôt que de le restreindre, de soutenir les créateurs plutôt
que les entreprises, et de valoriser la culture et l’éducation
canadiennes plutôt que les intérêts étrangers.
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Michael Geist est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit
d’Internet et du commerce électronique à l’Université d’Ottawa. Écrivez-lui
à mgeist at uOttawa.ca ou passez sur son site au www.michaelgeist.ca.
Sous la direction de Michael Geist, In the Public Interest regroupe des
essais sur l’avenir de la législation du droit d’auteur au Canada. Il est
possible de l’acheter ou de le télécharger gratuitement à partir du
www.irwinlaw.com.
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