[Forum] Opinion parue dans "Le Monde"
Marc Lavallée
marc at hacklava.net
Mer 15 Déc 08:51:29 EST 2004
Article dans "Le Monde" à propos de l'Unesco et M$:
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-390889,0.html
Son auteur a précisé sur la liste "escape-l" qu'il est sous licence CC
by-nc-nd, alors j'en profite pour le reproduire ici:
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POINT DE VUE
La liberté de choix des logiciels, enjeu politique, par Thierry Noisette
et Perline
LE MONDE | 14.12.04 | 16h43
Dix-sept novembre, l'Unesco présente un partenariat avec Microsoft
destiné à "réduire la fracture numérique". La nouvelle stupéfie les
associations qui militent pour un usage citoyen des technologies et pour
les logiciels libres. Le fait que la branche des Nations unies dédiée à
la culture et aux sciences s'associe à la multinationale de Bill Gates
pour favoriser l'accès à Internet et à l'informatique des pays pauvres
équivaut à une Unicef travaillant avec McDonald's pour lutter contre la
faim dans le monde ou à un ministère de la culture s'alliant à TF1 pour
combattre l'illettrisme.
Pour beaucoup, rédiger un texte ou relever ses e-mails sont des actes
triviaux sur lesquels ils ne s'interrogent guère. Pourtant, ils recèlent
un formidable enjeu, celui des logiciels grâce auxquels nous pouvons
utiliser les ordinateurs et les réseaux, et la liberté ou la dépendance
envers les éditeurs de logiciels.
A l'heure où des pays comme le Brésil ou l'Inde mènent des actions
d'envergure pour promouvoir les logiciels libres, ceux qui permettent
l'usage, la copie, la diffusion et l'accès au code, l'accord de l'Unesco
fait tache. Certes, son directeur général explique que cet accord ne
remet pas en cause "le soutien continu de l'organisation à différents
modèles de logiciels, tant propriétaires qu'open source". Mais lorsque
des étudiants ou des enseignants auront utilisé des logiciels non libres
offerts pour se former, il est évident que la possibilité de migrer vers
d'autres logiciels sera entravée et que les entreprises dans lesquelles
ils seront engagés préféreront utiliser ces compétences sans perdre de
temps à devoir les former à d'autres programmes.
Au même moment, le patron opérationnel de Microsoft, Steve Ballmer,
déclare à Singapour, le 18 novembre, que les utilisateurs du système
d'exploitation GNU/Linux risquent de multiples procès pour violation de
brevets. Après avoir provoqué de nombreuses protestations, il fait
savoir, selon une technique éprouvée de propagande, que la presse
l'aurait mal compris. Parallèlement, on apprend (Financial Times du 24
novembre) que, pour parvenir à un accord avec le groupe de pression CCIA
(Computer and Communication Industry Association), un de ses opposants
dans le procès antitrust devant la Commission européenne, l'éditeur de
logiciels aurait versé 19,75 millions de dollars, dont 9,75 millions au
président de CCIA, hier encore un de ses plus acharnés détracteurs.
Tout cela alors que se prépare la nouvelle version d'un texte capital
sur la brevetabilité des logiciels dans l'Union européenne. En l'état
actuel, la directive "sur la brevetabilité des inventions mises en œuvre
par ordinateur" permettrait de remplacer l'actuelle protection des
logiciels via le droit d'auteur par des brevets. Les dangers de tels
brevets ont été vivement dénoncés par de nombreuses et diverses voix,
tant associatives que de scientifiques et d'économistes, en raison des
abus que permettraient ces brevets et de l'insécurité juridique qu'ils
introduiraient.
Le projet de directive a été sévèrement amendé, à une forte majorité,
par les eurodéputés le 24 septembre 2003, bloquant la brevetabilité du
logiciel. Malgré ce vote de l'instance élue au suffrage universel
direct, les gouvernements ont réintroduit les brevets le 18 mai 2004,
lors du Conseil "compétitivité" des ministres - la France y compris,
malgré les engagements en 2002 de Jacques Chirac contre la
brevetabilité, que lui ont rappelés cette année plusieurs dizaines
d'entreprises du secteur informatique.
L'affaire est loin d'être close, puisque la Pologne vient d'inverser son
vote de mai et que le texte devrait revenir devant les ministres
européens en 2005, avant d'être à nouveau présenté aux eurodéputés : le
gouvernement français tiendra-t-il, cette fois, les promesses du
président ? Outre-Atlantique, on a déjà vu les dangers de la
brevetabilité débridée : énorme inflation des frais de procès, prime au
juridique plutôt qu'à l'innovation, etc.
De même faudra-t-il veiller à ce que l'Unesco ne laisse pas son
"partenaire" profiter de sa position hégémonique pour rendre dépendants
de ses produits administrations et entreprises, et, par effet boule de
neige, des millions de personnes.
Plus que jamais, la liberté des logiciels est un enjeu politique : à
chacun, citoyen, association, collectivité, entreprise, d'en être
conscient et de faire respecter cette liberté.
Thierry Noisette est journaliste, spécialiste des technologies de
l'information et d'Internet et Perline est analyste-programmeuse.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 15.12.04
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Marc
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